La science à l'épreuve de l'individu contemporain

  Claude POISSENOT, Université de Lorraine (CREM), France

Du complotisme à la défiance envers les vaccins, des fake news à la contestation des avis scientifiques, notre société contemporaine a rompu avec un des éléments de la modernité. La maîtrise rationnelle du monde fondée sur le savoir scientifique qui a appuyé le projet d'un affranchissement par rapport à la tutelle religieuse et au pouvoir monarchique absolu ne soutient plus de façon évidente la manière dont nos contemporains pensent le monde et envisagent leur existence.

Cette situation qui inquiète et désarçonne les institutions et les agents issus du monde passé demande à être pensée. Il faut en dresser le diagnostic et chercher à y remédier mais il convient aussi de chercher à la rendre intelligible. Les sociologies de l'individu pensent les mutations dans la manière dont les sociétés conçoivent et définissent leurs membres. Un consensus se fait jour pour considérer les années 1960 comme un moment charnière de basculement d'un lien social générique et abstrait vers un accent mis sur les différences entre individus et leur situation concrète. On passe d'une « commune humanité » réunie par l'adhésion à des références universelles (la science mais aussi la nation) à une somme d'individus différenciés soucieux de la manière dont ils sont concrètement traités.

Cette mutation affecte profondément le rapport des individus à leur monde. On le sait bien sûr à propos du rapport à la famille mais il s'agit ici de chercher à le vérifier à propos du rapport à la science. L'enquête Science&You 2021 qui accompagne ce colloque est une opportunité pour tenter de comprendre ce rapport de façon empirique. On peut chercher à différencier les individus selon leur degré d'adhésion à la deuxième modernité. Celle-ci se caractérise par une distance aux traditions et plus largement par la priorité mise sur l'identité personnelle plutôt que sur l'identité statutaire. Sur la base de l'enquête européenne sur les valeurs qui connaît une déclinaison française (http://valeurs-france.fr/ ) et dont la dernière édition date de 2018, j'ai proposé d'intégrer deux indicateurs dans le questionnaire Science&You 2021. Dans la question 35, nous avons intégré deux éléments afin de mesurer si les personnes interrogées se définissaient comme « ouvertes » et comme « conventionnelles ».

Sur la base de ces deux indicateurs, la communication que je propose vise d'abord à vérifier l'existence d'une tension entre l'adhésion aux valeurs de la modernité et la confiance dans la science. Les personnes les plus « ouvertes » et les moins « conventionnelles » sont-elles les plus soupçonneuses et défiantes ? Mais on sait que le rapport à la modernité est aussi socialement construit par des variables sociodémographiques : les plus jeunes et les plus diplômés sont les plus porteurs de cette vision du monde. Comment les appartenances sociales et l'adhésion aux valeurs de la modernité se combinent-elles dans le rapport à la science ? Lequel des deux effets est-il le plus important ?

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