Cyrille BODIN, Université de Strasbourg, France
En l'espace de quelques années, les « grandes » institutions de médiation scientifique se sont emparées d'un ensemble de notions demi-savantes (Bourdieu, 1997 ; 2001) : « fake news », « pseudoscience », « conspirationnisme », « biais de confirmation », « relativisme »... Soit autant de concepts empruntés au mouvement de la zététique, l'une des formes du militantisme scientiste radical en France (Laurens S., 2019 ; Bodin C., 2020). Toutefois, de telles notions reposent sur des fondements scientifiques particulièrement douteux et lacunaires.
Aussi, alors que les chercheurs spécialisés dans les études STS produisent depuis 60 ans des savoirs théoriques à l'endroit des relations sciences sociétés ; tout se passe comme si les acteurs de la médiation scientifique institutionnalisée avaient choisi de délaisser ces connaissances portant sur leur domaine d'activité, pour à l'inverse adopter les éléments de langage propres à une idéologie de la vulgarisation (Jurdant B., 2006, 2009 ; Bodin C., 2013). Et le champ socioprofessionnel de la médiation scientifique institutionnelle s'est largement autonomisé vis-à-vis des sciences qui analysent la médiation scientifique.
Dans une première partie, nous présenterons le mouvement zététique à partir d'une analyse des positions de ses principaux auteurs, ainsi que de ses développements contemporains sur les réseaux socio-numériques. Issu d'une tradition scientiste, ce mouvement participe à la construction d'un récit fondé sur la fiction d'un « fossé des connaissances » (Chavot P., Masseran A., 2010). Nous montrerons que la zététique, quoique prétendant lutter contre les « pseudosciences », fonctionne elle-même comme une pseudoscience : ostracisme et fermeture au débat scientifique, publications en dehors de l'édition scientifique, falsification des sources... (Foucart S., Horel S., Laurens S., 2020 ; Bodin C., 2021).
Dans une deuxième partie, nous produirons une analyse des discours émis par certaines institutions françaises de médiation scientifique (AMCSTI, CCSTI locaux, AFIS, La main à la patte...), afin de montrer une appropriation de l'agenda politique et des éléments de langage issus du mouvement zététique. Condition même de l'existence de ces institutions, la fiction d'un « fossé des connaissances » et d'un public « profane » apparaît remplir ici une fonction stratégique pour les médiateurs, pris dans des jeux d'interdépendance avec les bailleurs publics et privés (Jeanneret Y., 1994 ; Bodin C., 2013).
Peut-on parler « au nom de la Science » à partir de positions non-scientifiques ? Peut-on prétendre expliquer le monde sans se donner les moyens de le comprendre ? D'autres formes de médiation sont-elles possibles ? En mobilisant les notions de réflexivité, de scientifisation primaire et secondaire (Beck U., 2001), nous discuterons des risques que font courir ces pratiques discursives sur le débat démocratique, mais aussi sur la crédibilité et le fonctionnement de la recherche publique française.
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