Science en milieu carcéral : une expérience exigeante au service de nos pratiques de médiation citoyenne

  Lénaïc FONDREVELLE, Gulliver, France

Depuis 5 ans, Gulliver intervient auprès de groupes de détenus adultes. A la demande des services éducatifs, les sciences du vivant sont initialement utilisées pour transmettre des savoirs et proposer une ouverture culturelle (français langue étrangère, savoirs de base). Méthodologies et épistémologie sont par ailleurs mises en exergue pour initier une culture du débat argumenté, aider les détenus à discerner science / pseudo-sciences / croyances et, dans une moindre mesure, tenter de contribuer à la lutte contre la radicalisation.
Les objectifs, ambitieux, et le public, particulièrement sensible, nécessitent un soin particulier dans la préparation des interventions et la progression didactique. Il s’agit d’être systématiquement dans une démarche horizontale, dans l’écoute et l’empathie en vue d’établir un dialogue constructif et rigoureux.
Il ne s’agit pas d’opposer ni de hiérarchiser science et croyances mais bien de déterminer, ensemble, ce qui révèle de la science ou de la non science dans les échanges et les problématiques soulevées par et avec les détenus.
Ces heures passées en établissement pénitentiaire, auprès d’un public isolé, éloigné et parfois radicalisé, nous ramènent aux observations partagées depuis le début de la crise sanitaire. Nos publics traditionnels, « non incarcérés », ne sont-ils pas eux aussi enfermés par leur bulle de filtres (G Bronner – la démocratie des crédules - PUF) ? Le dialogue est parfois devenu difficile, voire impossible, avec nos publics traditionnels, assis sur des vérités stéréotypées sans lien aucun avec les faits observés et leur analyse rationnelle. Chacun d’entre nous, serions-nous prisonniers de nos stéréotypes et biais cognitifs ? L’expert est-il celui qui parle le plus fort et le plus souvent ? Celui qui montre les plus gros biceps sur les plateaux médias ou dans les couloirs de la prison ?
Les enseignements issus de notre expérience apportent un éclairage original dans la guerre de faible intensité que nous menons désormais au quotidien, sur les réseaux, dans nos musées, auprès des scolaires, etc. Nous proposons de les partager, les interroger et les mettre en perspective : exemples, anecdotes, éléments de théorisation pour établir une perspective commune au service de nos pratiques au quotidien dans un parallèle audacieux entre le contexte carcéral et un contexte social et sociétal bouleversé par la crise sanitaire.
Transdisciplinarité, histoire des sciences et des scientifiques, désacralisation et  explicitation des biais, y compris socio-économiques de la recherche actuelle sont autant de pistes explorées avec les détenus qui peuvent aussi être les outils de notre quotidien. Ces outils sont subtils donc à manier avec précaution, maîtrise et discernement. Faute de quoi, à l’image du boomerang, nos erreurs de médiateurs et nos propres biais personnels seront systématiquement exploités par les malveillants. En prison comme ailleurs, tout ce que vous direz [pourra être]/[sera] retenu contre vous….