Maxime PAUWELS, Université de Lille, Laboratoire Lasire UMR 8516, France
Le concept de 6ème extinction (massive) des espèces est très médiatisé, notamment dans des documents de vulgarisation sur la crise environnementale actuelle. Et, dans le climat d'urgence généralement associé à la crise, la circulation du concept laisse peu de temps pour la prise de recul et l'analyse critique. Pourtant, tant le décompte ("c'est la sixième") que le constat ("c'est une extinction massive") peuvent être discutés au regard des connaissances scientifiques disponibles.
Une 6ème extinction massive suppose cinq extinctions antérieures. Or, les crises passées ont été initialement décrites à partir de données sur l'évolution des niveaux de biodiversité marine. Pour d'autres catégories d'organismes, ces crises ne sont pas toujours confirmées. La crise Crétacé-Tertiaire, par exemple, rendue célèbre par la disparition des dinosaures, n'en est peut-être pas une pour les végétaux terrestres. Egalement, alors qu'une crise majeure se caractérise par des taux d'extinction exceptionnels, les taux d'extinction calculés pour la crise de la fin du Dévonien (la "deuxième") ne sortent pas de la gamme normale de variation des taux d'extinction au cours de l'histoire du vivant. Au final, deux extinctions massives et globales auraient peut-être effectivement eu lieu.
Mais, répondra-t-on, peu nous importe de savoir si c'est exactement la sixième si nous vivons une extinction massive.
La crise actuelle de biodiversité se caractérise par un déclin démographique pour une proportion importante des espèces qui sont suivies par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Ce déclin est souvent associé au classement de espèces comme menacées d'extinction. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes), en extrapolant les données disponibles, arrive au chiffre percutant d'un million d'espèces menacées. Cela ne suppose pourtant au mieux que des extinctions locales, et non globales comme lors d'extinctions massives. En comparaison, l'IUCN n'a enregistré qu'une proportion limitée d'extinctions parmi les espèces suivies, en comparaison largement inférieure à celles associées aux extinctions massives.
La discussion peut paraître futile, voire cynique, quand l'urgence est à la communication et la prise de conscience. Mais elle ouvre aussi des espaces de débats pour une meilleure compréhension et une meilleure gestion de la crise. Par exemple, elle peut amener à sensibiliser non plus seulement sur l'extinction complète des espèces (phénomène relativement limité) mais sur l'extinction fonctionnelle des espèces qui, bien que toujours existantes, ne remplissent plus leur rôle écologique (phénomène comparativement plus large). Elle permet aussi de réaliser que, si, bien que menacées, la plupart des espèces n'ont pas disparu, alors il reste possible d'éviter leur disparition, et donc une extinction massive. Ce que le concept de 6ème extinction ne permet pas.