Recherche biomédicale et statut des animaux dans la société : Analyse de position des scientifiques pratiquants l’expérimentation animale.

  Marie LODS, Université Bordeaux Montaigne, France

L’utilisation d’animaux dans des expériences scientifiques ou « expérimentation animale » est à l’origine de la majorité des avancements dans le domaine biomédical moderne [1]. Elle a toujours été critiquée, bien que longtemps à la marge car l’utilisation des animaux était acceptée comme nécessaire à la survie et naturelle dans l’idée de la domination de l’humain sur la nature. Aujourd’hui, des études récentes sur le comportement, la cognition et la neurobiologie des animaux contribuent à approfondir nos connaissances sur eux, leur capacité à souffrir, leur sensibilité et même leur conscience [2]. La problématique de la cause animale prend une place grandissante en France, et malgré le consensus scientifique sur la nécessité de l’expérimentation animale [3], 73% des français sont favorables à son interdiction totale dans un délai de 10 ans [4].

Ayant pratiquée l’expérimentation animale pour la recherche en neurosciences pendant cinq ans, je me suis intéressée à cette problématique dans le cadre d’un mémoire de recherche en sciences de l’information et de la communication [5]. Dans l’idée de contribuer à ce débat en faisant dialoguer plus sereinement société civile et experts, ce travail exploratoire analyse les résultats d’un questionnaire destiné à des scientifiques pratiquants l’expérimentation animale (38 répondants), visant à recueillir une indication sur leur orientation concernant leur perception de la polémique de société sur l’expérimentation animale et de la communication qui l’entoure.

Ce travail préliminaire met en avant une vision nuancée du rapport entre chercheurs et opinion publique sur ces questions : les scientifiques interrogés sont conscients de la dimension sociétale de leur pratique et sensibles à la condition et la souffrance animale. Leur position est néanmoins peu communiquée : les expérimentateurs considèrent majoritairement le sujet difficile à aborder en public et jugent sévèrement la façon dont il est traité par les grands médias généralistes. Révéler les questionnements que l’expérimentation animale génère chez les chercheurs, pourrait être l’occasion de permettre au public non pas d’être convaincu par une preuve irréfutable de la nécessité de l’expérimentation animale, mais de peser les implications de cette pratique et de se faire un avis plus nuancé et informé.

[1] AnimalResearch.Info, Noble Prizes, 2018
[2] INRA : Le Neindre P et al., 2017. Animal consciousness. EFSA supporting publication 2017
[3] « Pour le moment, l’expérimentation animale reste importante pour protéger la santé des citoyens et des animaux, et pour préserver l’environnement ». Commission Européenne, Communication de la commission sur l'initiative citoyenne européenne «Stop Vivisection», Bruxelles, le 3.6.2015.
[4] Les Français et la condition animale, août 2020, Ifop pour la Fondation Brigitte Bardot
[5] Master 2 Médiation des sciences, Université Bordeaux Montaigne, soutenu en décembre 2020