La controverse du glyphosate, un dialogue impossible ?

  François ALLARD-HUVER, Université de Lorraine, France

Depuis sa classification comme cancérigène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) en 2015, l’herbicide glyphosate est au cœur d’une controverse scientifique intense. Une partie de la communauté scientifique y voit la confirmation de travaux et d’alertes soulevés depuis plusieurs décennies. S’appuyant sur d’autres recherches, l’industrie phytopharmaceutique et des fédérations d’agriculteurs s’opposent à cette classification alors que l’autorisation de mise sur le marché européen de la molécule est arrivée à son terme. Cette controverse suscite une vive inquiétude au sein des populations qui s’interrogent sur les risques auxquels elles sont exposées et met sous pression l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) en charge du processus de réévaluation des risques.
 
Dans ce travail, nous nous intéressons à cette procédure mise en place en 2019. Lors de la rédaction de l’appel à projet, l’ANSES a fait contribuer un chercheur ayant eu des liens d’intérêts avec l’industrie des pesticides. La révélation de ces liens tout comme son appartenance au consortium de laboratoires qui a remporté l’appel, suscite une vive polémique qui conduira à l’annulation de la procédure. Au-delà du régime d’incertitude scientifique propre à la controverse, la transparence de l’évaluation des risques et l’indépendance du champ scientifique (Bourdieu, 1997) sont mises en doute dans une ère du soupçon et de la méfiance généralisée à l’encontre des chercheurs et des institutions scientifiques.
 
En effet, le glyphosate semble produire de nombreuses polémiques où plusieurs tiers (opinions, médias, justice) sont convoqués pour arbitrer la controverse scientifique (Lemieux, 2007) : la molécule est devenue un objet agonistique et idéologique par excellence au travers duquel se défient des corpus idéologiques et des visions du monde diamétralement opposées (Amossy & Burger, 2011). La polarisation des acteurs suscite des conflits qui paralysent chaque nouvelle tentative de produire des savoirs et rend parfois le dialogue entre les différentes partie-prenantes impossible. Dans une tension entre savoir et pouvoir, entre éthique et vérité, la controverse autour du glyphosate semble s’être installée dans la perspective de l’avènement d’un « gouvernement par la vérité » (Foucault, 2012), où chaque acteur déploie des stratégies de communication en espérant enfin faire éclater sa « vérité » sur le glyphosate.
 
Dans une perspective réflexive, nous souhaitons questionner ici les discours et les processus communicationnels des acteurs autour du glyphosate, en particulier ceux des institutions et des chercheurs dans un régime de controverses. L’enjeu est non seulement d’identifier les conditions nécessaires pour rétablir un dialogue entre les parties prenantes à même de permettre la co-construction du savoir mais également de dépasser la « tyrannie aléthurgique » qui s’est installée dans la controverse.