Charlotte MICHALAK, Laboratoire IMSIC, France
David GALLI, Laboratoire IMSIC, France
En quoi l’intimité du chercheur, longtemps mise de côté pour éviter la « subjectivité », peut finalement devenir un point d’appui dans la communication du chercheur avec la société ?
La réflexion qui traverse cette proposition de communication a débuté lors d’une expérience de terrain, dans le cadre d’un travail de thèse en sciences de l’information et de la communication. Alors que nous organisions une rencontre entre deux enquêtés issus de notre population d’étude, notre descente sur le terrain s’est soldée par une surprise. Les individus en question sont entrés en conflit. Ne l’ayant pas prévu, voilà qu’une situation d’embarras surgissait : tous les acteurs étaient plongés au cœur d’une forme d’intimité non souhaitée, inattendue. À la suite de cette expérience, nous avons pris appui sur l’évolution de notre rapport à l’intimité pour en faire une narration destinée à de nouveaux enquêtés, mais aussi à un public universitaire, puis au grand public. Traversant nos sentiments et anecdotes de terrain, notre narration aborde ce que peut être une rencontre, avec ses surgissements et ses incompréhensions. Que se passe-t-il alors chez le récepteur, cet autre qui nous écoute nous lancer dans un tel récit ? Nos sentiments vont naviguer au gré des mots, sans que l’on puisse toujours les contrôler. Une phrase peut raisonner, révélant de nouvelles questions. Et c’est tout l’objet de notre travail : nous laissons de la place à l’intimité dans la recherche pour créer des espaces émotionnels nouveaux, jusqu'à alimenter la communication de cette même recherche vers un public profane.
Dans La pierre de touche (1996), Jean-Marc Lévy-Leblond rappelait que les scientifiques ont des difficultés à « parler » de leur recherche. Ils l’écrivent, certes, mais y mettent-ils des mots au détour d’une rencontre physique, dans l’intimité de la communication entre les corps ? Lorsqu’ils le font, ils prennent le risque de se laisser perturber par l’autre en présence, face à sa chair. Vingt-cinq ans après son ouvrage, nous avons discuté avec Jean-Marc Lévy-Leblond au cours d’un entretien de recherche : peut-on dire que cette tendance à se tourner de plus en plus vers l’écriture (numérique ?) plutôt que vers l’intimité de la parole de proximité nous écarte les uns des autres ? Au moment où les échanges à distance l’emportent et que tout tend à se simplifier, dans quelle mesure la rencontre physique, complexe, qui impose de livrer une partie de son intimité, devient un point d’appui encore plus décisif ? N'est-elle pas un levier pour lutter contre la rationalisation de la communication des sciences et le délitement du dialogue entre la science et la société ?