Pierre Edouard BOUR, CNRS - Archives Henri-Poincaré, France
Depuis près de trois décennies, l’établissement d’un véritable dialogue sciences/société, en lieu et place d’une transmission unilatérale d’information entre savants et profanes, a constitué le mot d’ordre de la communication scientifique, sous l’effet d’une prise de conscience quant aux enjeux sociétaux des développements scientifiques et technologiques récents. Face à ce tournant majeur, le recours aux sciences humaines et sociales est encore souvent vu comme un moyen de garantir une acceptabilité sociale. On voudrait ici, en prenant l’exemple de la philosophie des sciences et de la connaissance, examiner un autre usage de ce champ disciplinaire pour la communication scientifique, liée à son questionnement intrinsèquement réflexif. De notre point de vue, l’apport d’une approche philosophique se situerait non seulement dans un travail de clarification de certaines questions spécifiques (par exemple à propos de controverses), mais aussi dans une analyse critique de la représentation de la science qui sous-tend la communication scientifique.
La philosophie des sciences tout comme l’épistémologie (au sens anglo-saxon de philosophie de la connaissance) ont connu depuis quarante ans un tournant « social ». Ce tournant a amené au premier plan des concepts comme ceux de confiance épistémique et d’expertise, ou l’analyse des procédures collectives garantissant la fiabilité des productions scientifiques (comme le peer-reviewing), et conduit à proposer des nouveaux modèles de l’activité et de la connaissance scientifique intégrant de diverses manières leur dimension collective. Ces concepts et analyses philosophiques semblent particulièrement adaptés pour fournir un cadre interprétatif du dialogue parfois difficile entre la société et les sciences.
Ils permettent d’autre part d’interroger une représentation des sciences qui place symboliquement celles-ci dans un monde « à part », fonctionnant d’après ses valeurs propres strictement liées à la connaissance, et dont on conçoit qu’il est difficilement compatible avec l’idée d’un terrain de discussion commun aux sciences et à la société. La remise en cause de ce modèle de la « value-free science » n’est-il pas une condition ou, à tout le moins, une voie d’accès, pour l’établissement d’un dialogue véritable intégrant les questions de valeurs, la discussion des choix et de leurs conséquences, y compris dans l'activité scientifique elle-même ? Et quelles conséquences cette remise en cause, ou l’adoption plus généralement de cette posture philosophique, a-t-elle sur les formes et le sens à donner à l’activité de communication scientifique ?